Grande démission et engagament

par | Tendances

De la presse écrite, aux journaux télévisés, en passant par les réseaux sociaux, difficile d’échapper aux « big quit » ou autres « great resignation ». C’est bien, on révise notre anglais.

« great resignation »

Comme bien souvent, un détour par les USA et la langue de Frederick W. Taylor, nous aide à normaliser, voire à cooliser, un phénomène qui est pourtant tout aussi français : une augmentation des démissions dans des proportions jamais rencontrées auparavant.

Entre ceux qui veulent démissionner prochainement (Selon une étude d’Indeed, 37% des salariés déclarent qu’ils n’ont jamais eu autant envie de démissionner, et ce chiffre monte à 42% chez les moins de 35 ans) et ceux qui ne veulent pas « entrer sur le marché de l’emploi » (la vidéo de l’intervention d’une dizaine d’étudiants d’AgroParisTech affichant leur choix « de ne pas jouer le jeu d’une économie destructrice » a été visionnée un million de fois sur youtube), on comprend que le marché du travail est tendu (Indeed affirme atteindre en mai 2022 un pic de 1,2 million d’annonces postées).

En parallèle, ce sont les oreilles des entreprises qui doivent se tendre, car cela fait partie de la panoplie du manager que de savoir écouter les signaux et ainsi, d’éviter les trois défauts majeurs de traduction de cette tendance de fond.

Le premier serait de rejeter ces jeunes diplômés, ainsi que tous ceux qui quittent leurs emplois pour « une autre vie », comme des défaitistes, des « déserteurs » qui fuient le monde des responsabilités, des apôtres de l’inaction. Au contraire, c’est bien une action, certes radicale, mais une action qu’ils ont menée. Dans le documentaire « Ruptures » *, sur ce même sujet, on croise une dizaine de jeunes bien éloignés d’une fuite lâche et capricieuse.  On y découvre des anciens de Polytechnique, de Sciences Po, de Centrale ou d’écoles de commerce, en rupture des carrières brillantes et valorisées, pourtant promises, qui pensent leurs vies à l’aune des actions utiles et à impact positif qu’ils pourraient mener. Gardons également en tête que 40% des Z** se rêvent être leur propre patron et que Z rime avec Zigzag, comme les parcours que les nouvelles générations plébiscitent, bien loin des trajectoires professionnelles linéaires de leurs « X » parents. Et on conviendra qu’avancer en Zigzag demande plus d’efforts que de cheminer en ligne droite.

La deuxième erreur serait de caricaturer et marginaliser tous ceux qui embrasseraient des changements de vie. On a tendance, et la presse amplifie ce mouvement, à associer le mouvement des démissions à des portraits de citadins qui ont gagné la campagne pour se réorienter vers les métiers de la terre. On oscille alors volontiers entre la caricature du néo-beatnik producteur de crottins de chèvre et les histoires d’anciens cadres supérieurs qui découvrent à leurs dépends la rudesse d’une vie de paysan. S’il est vrai que les mois de confinement ont pu faire naître des velléités de vie plus verte chez certains, la réalité est tout autre. En moyenne, ces 10 dernières années, 200 exploitations agricoles disparaissent chaque semaine (chiffres du ministère de l’agriculture : 100 000 disparitions d’exploitations agricoles ces 10 dernières années), et aucune fuite de prétendus citadins vers la Province ne vient enrayer ce mouvement.

La troisième erreur serait de prétendre que le « big quit » est « un truc de riche », l’apanage de bobos, de cadres qui auraient les moyens d’être sélectifs et exigeants. Erreur au regard du désespoir des employeurs dans les secteurs des services, de l’hôtellerie-restauration, ou encore du commerce. 200 000 postes de restauration n’ont pas trouvé preneur à l’été 2022. Difficile de réussir sa saison dans ce contexte. Pire pour nous tous, 60 000 postes d’aides-soignant(e)s et infirmier(e)s restent dangereusement vacants.

Ces chiffres historiques de démissions et de postes à pourvoir sont avant tout la manifestation par les salariés d’un besoin de savoir pourquoi et pour quoi on travaille.

Et si les organisations se réengageaient …dans l’engagement ?

D’après la dernière étude Gallup, seuls 6% des salariés français se déclareraient engagés !

Pour remettre les pendules à l’heure, n’allons pas chercher 12h00 à 14h00. Nous sommes d’abord face à une crise de l’engagement et voici les 3 points que les organisations doivent urgemment réinvestir :

  • La cohérence

Je dis ce que je vais faire et je fais ce que j’ai dit. C’est la base. Mais plus subtilement, il faut avoir en tête qu’aujourd’hui les collaborateurs sont en recherche d’authenticité dans les propos et de justesse dans les actions. La raison d’être de l’entreprise s’exprime-t-elle au quotidien avec l’harmonie attendue ? Idem des chartes de valeurs affichées dans les couloirs, des discours présents dans les textes d’annonces de poste, sur les home page des sites institutionnels ou encore, dans les rubriques « RSE » ou « Développement Durable ». Pour s’engager, c’est-à-dire faire des efforts conséquents pour l’entreprise, il faut en avoir envie, être convaincu, croire en son entreprise. Clarifier le pourquoi de son objet, puis gommer tous les écarts entre déclaration et perception est une belle première étape.

  • La symétrie

Ai-je un juste retour sur mon investissement ? Cela pose la difficile question de la reconnaissance qui nous mène rapidement aux notions de contribution/rétribution. Certes. Mais toutes les études indiquent que la cause première d’un départ, et bien avant la rémunération, est l’absence de relations et de feed-back de la part du manager. Réapprendre à tous nos managers à dire « merci », « j’apprécie beaucoup ce que tu as fait » nous ferait diminuer de moitié la proportion des démissionnaires. Plus on est en crise, plus nous devons parler. Cela tombe sous le sens, pourtant même la prestigieuse Business Harvard Review semble contrainte de le rappeler en tête de ses publications ( Do You Tell Your Employees You Appreciate Them?,” by Jack Zenger and Joseph Folkman). Devenir un manager authentique s’apprend.

  • La participation

Ai-je l’occasion de dire « j’ai réalisé ceci » ou « j’ai participé à cela » ? suis-je écouté ? Le sens d’être intégré dans une équipe, un projet, des objectifs est essentiel. Sans dramatiser outre mesure, les femmes et les hommes sont des animaux éminemment grégaires. Seuls, vraiment seuls, sans interaction, nous mourrons. Se rappeler cette évidence biologique permet de garder à l’esprit que l’appropriation d’un espace et le sentiment d’appartenance à une équipe, à un groupe sont des moteurs aussi indispensables que puissants. A l’ère du succès des bullshit jobs *** , redonner du sens au collectif, au partage des décisions, à la réappropriation du contenu même des postes, prend tout son sens.

En un mot, en regardant sincèrement les raisons des démissions récentes, sans ce moquer ou éluder le débat, on verra sans aucun doute la manisfestation d’un besoin profond, celui d’être en mesure de s’identifier aux valeurs de son entreprise, de pouvoir s’engager pour sa réussite et de vouloir ardemment la défendre et lui être fidèle.

  • * Ruptures, documentaire d’Arthur Gosset, prix « coup de cœur du jury » FIFES Cannes 2021, co-produit par Hélène Cloitre.
  • ** les catégorisations générationnelles les plus communément retenues sont :
    • Boomers nés entre 1950 et 1965
    • X entre 1965et 1979
    • Y entre 198 et 1995
    • Z après 1995
  • *** Graeber, David (de l’anglais), Bullshit Jobs, Paris, Les Liens qui Libèrent
Frédéric Oglietti Fondateur de Possible.s - Coach, consultant et formateur intelligence collective et management - 20 ans d’expérience de poste de direction - Des accompagnements reconnus