Apprendre à débattre, une compétence-clé dans un monde mouvant

par | Développement personnel, Management

Dans un monde de permacrise, la question des actions à mener prend une ampleur inédite. Plus la situation est mouvante, complexe et souvent déroutante, plus nous avons besoin d’échanger, écouter, partager, sereinement. Or, c’est souvent l’inverse qui est observé. La peur et le désarroi déclenchent des réflexes de replis, de manipulations ou d’invectives.

Lorsqu’à la machine à café il est devenu banal d’évoquer la survie de l’humanité et la disparition de la vie sur terre, comment en discuter sérieusement ? Comment développer les capacités à échanger des idées, à confronter les points de vue ? Comment partager un point de départ qui fasse consensus pour innover et inventer ensemble l’indispensable monde de demain ? Pouvons-nous imaginer des formations qui aident à façonner une pensée critique et une communication honnête ?

La réponse est oui et dans ce domaine, aussi bizarre que cela puisse paraître, il existe une compétence indispensable qui est très souvent négligée : apprendre à débattre.

Pourtant, après 2 minutes de réflexion, tout le monde s’accordera sur le fait que, si un groupe désire collaborer, innover, inventer, dans un contexte de surcroît inédit, il vaut mieux que chaque membre maitrise l’art du dialogue, sinon, comment s’entendre ? Et franchement, en ce moment, on n’a pas besoin de se parler ?!

Or, qui a appris à débattre ?

Si n’êtes pas passé.e.s par une école alternative, certaines universités anglo-saxonnes ou quelques cercles associatifs, vous avez peu de chances d’avoir été formé.e.s.

4 compétences clés sont indispensables pour éviter la foire d’empoigne.

Pour les illustrer, je vous propose une de ces petites phrases qui circulent régulièrement et d’imaginer ce qu’elle donnerait comme base de travail en entreprise. La dernière fois que je l’ai croisée (sur LinkedIn), elle provenait de Gaspard Proust qui dans le JDD déclarait :

« La France contribue à hauteur de 1 % des émissions de CO2 dans le monde. Si elle adoptait la plus furieuse des planifications écolo-Jancovici-Tondelier friendly, cela n’aurait probablement aucun effet sur le climat ».

L’auteur à l’origine du « post » s’est justifié en se présentant comme un contributeur au débat. Voyons si les compétences sont au RDV.

Compétence #1 : distinguer faits et opinions.

Cela peut sembler évident, voire surprenant, mais c’est moins simple qu’il n’y parait et je découvre, à chaque formation que j’anime, que peu de personnes ont conscience des amalgames qu’ils font. Le parcours est semé d’embuches cognitives et autres jugements de valeurs. Un fait partiel et arrangeant est vite transformé en vérité. Si le fait est vérifiable, il nécessite un tant soit peu d’être précisé, contextualisé, sourcé, voire nuancé. Dans notre exemple :

  • La part des émissions de CO2 de la France dans le total des émissions mondiales annuelles représentait 1 % en 2020. C’est daté, c’est déjà plus précis.
  • Mais quand on parle de ce sujet, il est indispensable d’évoquer les émissions provoquées par les Français, ou pour les Français. Par exemple, à chaque fois que j’achète un steak de viande Argentine, j’ai un peu d’émissions locales (je vais chez le boucher, lui-même a ses émissions, un transporteur, des frigos, etc) et beaucoup d’émissions de CO2 en Argentine, puis au niveau du transport. Bref, des émissions directes (en France) et indirectes (en et depuis l’Argentine) pour moi. Selon le Global Carbon Project, sur la même période, la contribution de la France n’est plus de 1 %, mais de 1,5 %.
  • Par ailleurs, si pendant des décennies, moi et mes concitoyens avons abusé de la consommation de steaks argentins, contribuant pendant toutes ces années au réchauffement climatique, bien plus que d’autres pays qui n’en n’avait pas les moyens, nous avons un poids historique supérieur à eux. Elément soulevé par le GIEC. Selon les données estimées depuis la révolution industrielle, notre « contribution nationale » monte alors à 2,35 % (2), ce qui fait de la France le 8ème contributeur (les USA étant les 1ers avec 25,21 %, loin devant la Chine avec 14,25 %).
  • Considérant que la population française représente 0,8 % de la population mondiale, le propos devient encore différent.

Pour débattre, nous aurions un meilleur point de départ, factuel, avec « Historiquement, directement et indirectement, la France a contribué et contribue à hauteur de 2,35 % des émissions mondiales de CO2, alors même que sa population représente 0,8 % de la population mondiale, ce qui en fait le 8ème « contributeur » mondial ».

Compétence #2 : distinguer le sujet évoqué et la personne qui le porte

Ici l’attaque est directe et sans ambiguïté. Que l’on connaisse Jean-Marc Jancovici et/ou Marine Tondelier ou non, on saisit bien que l’auteur les pointe du doigt sans rapport avec le (presque) fait énoncé. Dans un contexte de débat, un cycle attaque-défense s’ouvrirait assurément (cf. à peu près tous les débats télévisés).

Compétence #3 : Argumenter

Enoncer son raisonnement et partager une démonstration permet à l’autre accéder à des points de vue différents. Objections, argumentations, contre-argumentations permettent à un débat de s’enrichir et à tous les membres de favoriser leur compréhension et leur développement personnel. Apprendre à argumenter tout en étant à l’écoute de nos émotions, de nos croyances, de nos préjugés, donne la possibilité aux débats de gagner en profondeur et de ne pas se transformer en échanges de grosses vannes. Certes, l’objectif de Gaspard Proust n’était sans doute pas le débat, mais le poids du dénigrement contenu dans « la plus furieuse des planifications écolo-trucs friendly » occasionnerait encore à coup sûr, dans un échange professionnel, une escalade verbale délétère et improductive.

Compétence #4 : Détecter les manipulations

Quelles soient grossières ou subtiles, elles ne sont pas toujours conscientes. Par passion, par intuition, nous pouvons tous commettre des raccourcis ou de petits « passages en force » pour convaincre. Quand on est pris aux tripes par un sujet, cela peut arriver.  On peut chercher à influencer à l’aide d’artifices légèrement trompeurs et malhonnêtes (de pieux mensonges) pour la bonne cause (la nôtre quoi !). Les détecter, en prendre conscience aidera le jeu collectif à s’exprimer sans risque de dérapage. Les fausses dichotomies, les ignorances feintes, ou encore les données tronquées… se détectent, s’apprennent et se corrigent.

Ces quatre compétences de base, associées à l’apprentissage d’une communication ouverte et aux techniques de la collaboration aux seins des équipes, arment les collectifs à relever les extraordinaires défis auxquels nous sommes confrontés.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus à nous demander qui doit agir entre les particuliers, les entreprises, les gouvernements. C’est tout le monde. Les entreprises possèdent toutefois un atout majeur pour être aux avant-postes des inventions du monde de demain : elles offrent un cadre où les orientations personnelles (politiques, culturelles, religieuses…) s’estompent pour laisser la place à des postures professionnelles. Associées à l’expérience et au goût de la performance, les entreprises peuvent être d’extraordinaires lieux d’innovation en matière de collaboration et de création d’impacts positifs. Encore faut-il former les équipes aux compétences essentielles.  Mais ça, c’est mon opinion, et on peut toujours en débattre.

 

  • (1) Source ADEME
  • (2) Merci à Thomas Wagner, auteur du site Bon Pote, pour son analyse complète sur le sujet en juin 2022.
Frédéric Oglietti Fondateur de Possible.s - Coach, consultant et formateur intelligence collective et management - 20 ans d’expérience de poste de direction - Des accompagnements reconnus